Londres, 12 mai.- Tu crois qu'elle nous a vus ?- Probablement.- On fait quoi alors ?Aphrodite sentait son cœur battre à tout rompre comme s'il eut souhaité jaillir au dehors de sa poitrine. Elle pensait que personne ne l'avait vue... Elle était toute menue et se glissait aisément sous une voiture ; la cachette qu'elle avait trouvée n'était guère plus confortable.
- Colle lui une balle entre les deux yeux, ordonna l'un, encore couvert de sang.
Ce sera plus rapide, elle n'aura pas le temps de geindre.Un rire grinçant résonna dans la pièce étroite.
- Putain, t'es dur avec elle ! lança l'autre.
Elle est plutôt mignonne, même de loin...Il chuchota quelque chose d'incompréhensible à son compagnon, qui abandonna son air sévère pour un sourire carnassier. Ce dernier leva son revolver en direction de la jeune femme et lui fit signe de s'approcher.
- Viens ici. Dépêche-toi.Aphrodite n'eut pas d'autre choix que de sortir de sa cachette. Elle s'approcha, les yeux brillants de terreur. L'homme qui la menaçait de son arme agrippa son bras et l'envoya valser contre l'autre, qui lui bloqua les épaules sans efforts.
Un cri strident s'échappa d'entre ses lèvres et fut aussitôt étouffé par la main ferme de son geôlier.
- Ferme-la ou je te descends maintenant ! grogna le complice qui déboutonnait sa chemise.
Si tu es docile, peut-être que je te laisserai vivre...Les deux hommes éclatèrent d'un rire sadique.
13 mai.Lorsqu'elle revint à elle, Aphrodite était toute engourdie. Ses cuisses étaient maculées de sang, ses poignets et ses chevilles étaient marquées de cercles pourpres encore douloureux. Ses muscles ankylosés mirent un certain temps à répondre.
La jeune victime, elle, mit un certain à se rendre compte qu'elle gisait dans une immense flaque de sang. Ça devait être sec depuis plusieurs heures, mais ça sentait encore la rouille et l'adrénaline.
Elle se releva, chancelante, les yeux brûlants de haine. Son visage était couvert de sillons rougeâtres creusés par les larmes acides qu'elle avait versées pendant et après son traumatisme, jusqu'à s'endormir d'épuisement et de désespoir.
On entendit des sirènes familières au loin.
Mais Aphrodite n'avait aucune envie d'affronter les ambulanciers, les policiers, les gens qui la jugeraient, la jaugeraient, lui poseraient des questions auxquelles elle ne voulait donner aucune réponse.
Elle fuit sans plus attendre, bien que chaque mouvement lui causât une douleur lancinante.
14 mai. - Citation :
- Mon cher Félix,
Je n'ai jamais aimé d'autre homme. Je n'ai jamais autant aimé un homme. Je t'aime plus que ma propre vie. Mais je pars. N'essaie pas de me retrouver. Dis à mes parents que je les aimerai jusqu'à la fin de mes jours. Et dis à Diana que je ne l'oublierai jamais..
Adieu.
Aph...
La lettre parsemée de larmes noires n'était pas achevée. Aphrodite n'en eut pas la force. Elle griffonna le nom de son fiancé au devant d'une enveloppe et la glissa dans la boîte aux lettres de l'immeuble dans lequel elle avait vécu pendant un an, et dans lequel elle ne remettrait plus jamais les pieds.
Trois mois plus tard.Londres était bien différente de ce qu'Aphrodite avait toujours connu. Aujourd'hui, c'était la ville de tous ses cauchemars, la ville de ses chimères et de ses secrets. Il lui fallait quitter cet endroit gris et fumant qu'elle abhorrait désormais.
Pour cela, elle vécut plus de trois mois sous un pont insalubre avec un sans-abri qui voulait bien partager ses bouteilles avec elle. Elle était méconnaissable. La future mariée svelte et désirable qu'elle avait été était devenue un fantôme. Le teint terreux, les cheveux ternes et le visage émacié, tout chez elle avait changé. Elle avait perdu plus de dix kilos et beaucoup de cheveux.
- T'as les papiers ? grogna-t-elle à un homme encapuchonné qui passait au-dessus du pont comme si de rien n'était.
- T'as le matos ? se contenta-t-il de répondre.
Aphrodite, l'air dégoûté d'elle-même, tira un pochon de cocaïne de taille considérable de son soutien-gorge et lui balança avec mépris. L'homme l'ouvrit et sentit. Il émit un soupir de satisfaction et récompensa la jeune femme d'une liasse de papiers divers. Fausses pièces d'identité, billets d'avion, bons d'achat divers et sommes faramineuses en petites coupures..
- Tu prends l'itinéraire numéro 1 ou 2 ? J'ai pas toute la journée moi !- Le numéro 2.- Comment tu t'appelles, maintenant ?- Stella Sinclair.- C'est laid. T'as pas une tête à t'appeler Stella.La jeune Aphrodite plissa le nez et choisit une autre carte au hasard.
Phoenix, trois mois plus tard.L'Arizona avait quelque chose d'accueillant qui procura un second souffle à Aphrodite. Mais ses faux papiers étaient un poids qui l'inquiétaient plus qu'ils ne l'aidaient. Elle se rendit aussitôt dans une institution compétente pour faire officialiser son nouveau nom.
Aphrodite Aliénor Lauwrence.