Mes mains tremblaient affreusement. Je n'aimais pas ça. Fallait que je fasse le travail proprement. C'est ce qu'on m'a dit. C'est ce que j'ai appris durant toutes ces années. Et il y a trop de choses derrière moi qui traînent pour que j'abandonne. On pardonnait les ados pour des vols, des bagarres, des délits sans importance. Mais ce que j'avais fait, ce n'était pas pareil. Et puis, je n'étais plus un ado. J'avais fait la pire des choses que j'aurais pu faire. Même tuer cet inconnu me paraissait moins grave. Je visai du mieux que je le pouvais et appuyai sur la gâchette. La scène parut passer au ralentis. Le trajet de la balle jusque dans la crâne de l'homme me parut une éternité. Un temps pendant lequel je pus voir ma vie défiler. Comme si c'était moi qui était en train de mourir.« Mon chérie, s'il te plaît ! Laisse-le. » Un second coup partit. La main de mon père s'abattit sur le visage de mon frère tellement rapidement. Je ne pus réagir. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Quelques heures plus tôt nous riions à table et, maintenant, mon paternel était dans une de ses rages incontrôlables. C'était moi qui aurait du être frappé. Je le sais parce que mon nom avait été dis plusieurs fois dans une conversation à voix basse. Mais, quand mon paternel s'était avancé vers moi, les poings serrés et l'air en colère, cette expression de rage qui m'effrayait tant, mon grand frère était intervenu et s'était interposé entre mon père et moi. Âgé de 13 ans à peine, il avait prit son courage à deux mains pour protéger son petit frère de 7. J'aurais tant aimé avoir ce courage. J'aurais préféré prendre ces coups plutôt que de le regarder souffrir par ma faute. A chaque baffe qui partait, je ne pouvais me fermer les yeux en entendre ce qu'il se passait. Quand je rouvris les yeux, je vis mon frère recroquevillé sur le sol et ma mère agrippée au bras du monstre. Elle pleurait à chaudes larmes, le suppliant d'arrêter. D'un geste, il la repoussa contre le mur et lui frappa le visage. Elle ferma les yeux et retint son souffle jusqu'à ce que la pluie de coups s'arrête. Il parut exaspéré et partit s'asseoir sur une chaise de la cuisine. Une bière à la main, il regarda la terreur sur les visages des différents membres de sa famille.
J'étais en colère parce que plus je grandissais plus je voyais de bleus sur les corps les gens que j'aime. Mon frère avait du quitter l'école alors que le bac arrivait très vite, à cause de plusieurs côtes cassées. Il voulait partir d'ici, il me l'avait répété tellement souvent. C'était la seule vraie chose dont il rêvait après ma sécurité totale. Ma mère achetait des tonnes de maquillage pour camoufler ses blessures. Elle pleurait souvent aussi. Des rides apparaissaient sur son visage et ses joues se creusaient de fatigue de jours en jours. Mon père, lui, n'avait rien. Il vivait sa vie comme un roi. Tout avait l'air parfaitement normal pour lui. J'avais bien tenté de me révolter mais que pouvais-je faire à treize ans ? Je m'étais fait frapper moi aussi, pleins de fois maintenant. Il estimait que je pouvais endurer ses coups et que surtout, je les méritais. Mon frère allant faire des études à l'étranger, il 'préférait me préparer à ce que j'allais endurer quand il ne serait plus là et qu'il n'y aurait plus le grand pour me défendre à chaque fois.' Personne de notre entourage ne remarquait. De la famille, nous n'en avions pas. Et moi, je n'avais pas beaucoup d'amis. J'avais toujours été celui qui ne se faisait pas remarquer, un intelligent discret qui ne parlait que très peu. Et surtout, celui qui s'inventait des excuses pour ne pas enlever ses t-shirts à manches longues en pleine canicule, celui qui n'allait pas à la piscine. Tout ça pour dissimuler ce que mon père me faisait.
Ma vie commença à basculer un samedi alors que j'étais proche de mes quatorze ans. Cela faisait près d'une semaine qu'il était parti pour des affaires. Ma mère savait bien que c'était pour voir sa maîtresse mais, à chaque fois qu'il partait, elle en était soulagée. Étrangement, depuis le départ de mon père le lundi, elle paraissait tourmentée. Elle ne nous parlait pas et s'enfermait des journées entières dans sa chambre, ne sortant que le soir pour aller manger un peu. Et puis, ce samedi soir, elle ne sortit pas du tout. Sullivan ne s'inquiéta pas. Il révisait énormément car il avait des examens de rattrapage qu'il voulait réussir pur s'en aller. Alors, ce fut moi qui alla dans sa chambre. Ce que je vis me glaça le sang. Des larmes se formèrent dans mes yeux et mes poings se serrèrent jusqu'à me faire mal. Comme si la douleur me ramènerait à la réalité. Mais, c'était réel. Je vis ma mère étendue sur le sol. Je me précipitai vers elle. Je la regardai dans les yeux. Ils étaient bien ouverts, comme si elle me regardait, mais on ne voyait plus la lueur de vie dedans. Puis, sous mon pieds, je sentis une sensation étrange. Je regardai par terre et vis du sang couler le long de ses deux bras. Je pus entrevoir une lame de rasoir ensanglantée juste avant qu'une main ne m'attrape par l'épaule et me tire en dehors de la pièce. Sully me prit dans ses bras et nous restâmes ainsi, à pleurer, pendant un long moment. Pour elle il était trop tard. Ça l'était depuis trop longtemps.
Le lendemain, mon monstre de père rentra le cœur léger. Le sourire sur ses lèvres présumait qu'il n'était au courant de rien et ça me dégoûtait. Je le regardai passer la porte de la maison d'un regard assassin. Je lançai d'un ton froid
« Maman est morte. Tu le sais ? Ta femme... » Sully me coupa pour continuer d'un ton beaucoup plus conciliant -je lui en voulu d'ailleurs pour ça.
« Elle s'est suicidée hier soir. Son corps à été emmené, il avala sa salive difficilement.
Ils veulent te voir à la gendar... » Cette fois, ça voix se coupa net dans un sanglot. Mon paternel ne dit aucun mot. Il marcha simplement jusqu'à la cuisine, comme il faisait tout le temps quand quelque chose le contrariait. Puis, il prit une bière et en but une grande gorgée avant de lancer
« Allez dans vos chambres !» J'y allai sans rien dire bien qu'à l'intérieur, je sois en train de bouillir de rage. Alors, c'est comme cela que nos vies allaient se passer ? Nous allions oublier et continuer comme si de rien n'était ? Non, moi je voulais la venger.
La semaine qui suivit, j'avais passé plusieurs jours à me renseigner auprès de quelques personnes pour trouver ce qu'il me fallait. On vivait dans un quartier un peu mal famé : trouver la personne qui pouvait me fournir ce que je cherchais avait été bien plus facile que je le croyais. Je voulais une arme à feu. C'est un vendredi que je partis retrouver celui qui me la fournirait. Il s'appelait Jimmy. Un gosse qui n'avait pas bien tourné. Tombé dans la drogue et l'alcool. Je me souviens que nous étions à l'école ensemble avant, dans la même classe même. Mais il s'est mis à faire du trafic d'à peu près tout ce qui est illégal après que sa mère soit partie avec un parfait inconnu pour vivre une nouvelle vie. A l'époque où nous nous fréquentions, si j'avais su cela, je l'aurais plaint. Maintenant, je le remerciais d'être là. Même si ce pistolet me coûtait cher, j'étais prêt à tout pour mette mon plan à exécution. Réaction de gamin torturé ? Oui, totalement. Mais, je ne peux revenir dans le passé et lui -me- dire de laisser tomber cette idée stupide.
En rentrant chez moi, je m'assis dans le canapé et attendit que mon père revienne du boulot. Sully était parti chez un ami pour décompresser un peu de tout e qui arrivait. J'avais beau avoir l'air de savoir ce que je faisais devant mon air calme et détaché, à l'intérieur de moi, tout se chamboulait. J'aurais pu vomir rien qu'à prononcer un mot. Au moment où je le vivais, je croyais que c'était de peur. Maintenant que j'y repense, je sais que c'est par dégoût pour moi-même. L'ado que j'étais ne se résignait pas. Malgré toutes les questions qui se posaient en moi, je ne me dégonflais pas. Pour ma mère.
Je levai la tête en entendant la porte s'ouvrir. Je prenais le flingue que j'avais caché en dessous du coussin et me levai.
« Salut...papa ! » Lançai-je d'une voix faussement enjouée. Il me lança un bref regard pendant que je me dirigeai vers lui. Je me tins près de lui. C'est quand il se retourna, dos à moi, pour prendre son habituelle bière, que je vis le moment propice. Je l'assommai d'un coup sur la tête qui le mit k.o. Il avait l'air presque gentil, là, inconscient. Détail sans importance en sachant ce qu'il avait osé faire durant toutes ces années. Le lui mis l'arme dans sa main gauche -détail qui est lui important du fait que cet homme est gaucher- et j'appuyai sur la détente avec ses doigts. Le coup produit pas la balle sortant du canon de l'arme ne parvint à mes oreilles que comme un son lointain, presque inexistant. Je restai de marbre face au sang qui tapissait le sol. Le crâne ouvert de mon père ne me parut pas réel, comme le souvenir d'un rêve qui s'efface plus on y pense. Durant le reste de la soirée, ce ne fut plus moi qui parlai mais quelqu'un qui m'était totalement inconnu mais que j'allais devoir apprendre à connaître au fil du temps.
La police ne tarda pas à arriver après mon appel. Notre commère de voisine avait déjà du les appeler avant moi. Qu'elle femme déplaisante. Les pompiers les suivirent de près. Dans notre quartier, il n'était pas rare de les entendre. Soit quand elles passaient devant chez nous, soit quand elles s'arrêtaient tout près. C'était la première fois que je pouvais les entendre si distinctement pourtant. Le policier m'interrogea longuement. La voix emplie de sanglots je racontai ma version :
J'étais dans ma chambre, faisant mes devoirs comme à mon habitude quand, j'entendis le coup de feu. J'étais accouru dans la cuisine mais, il était trop tard. Pourquoi n'avais-je pas appelé tout de suite ? Le choc m'avait fait perdre mes notions de bon sens.
C'est la version que, aussi longtemps que je le voudrais, tout le monde connaîtrait. Je serais le seul à savoir la vérité. L'agent parut à moitié convaincu mais me laissa et partit discuter avec son collègue.
Suite à cette histoire, mon frère partit de Bristol pour aller vivre aux États-Unis. Il n'avait pas pu obtenir ma garde, j'avais donc été placé en orphelinat pendant un an. Je ne m'étais fait aucun ami parce que je ne le voulais pas. Je savais les risques que je pouvais prendre en ayant quelqu'un qui me soit proche. Je n'avais pas l'intention de rester là longtemps de toute façon. Et puis, j'étais le gosse dont les deux parents s'étaient suicidés et dont le frère avait préféré partir du pays. On avait peur de moi.
C'est à mes quinze ans que je fus placé en famille d'accueil. Ils formaient un couple bien étrange. La femme devait avoir à peine une trentaine d'années alors que le mari dépassait la cinquantaine. Pourtant, il restait quelqu'un de très vivant. Assez pour m'emmener faire du golf et des parties de poker jusque tard le soir avec ses vieux amis. Il était aussi très riche, et c'est le cas de le dire. Je vivais dans une sorte de gigantesque palace. Et pourtant, ma seule chambre me suffisait. Je ne leur parlait pas beaucoup, eux non-plus d'ailleurs. La femme était d'une stupidité sans pareil et je me riais beaucoup d'elle. Je détestai regarder les femmes de ménage sans rien faire, alors je proposai régulièrement mon aide. Au début, elles s'obstinaient à refuser puis, au fil du temps, elles ont cédé. Ma vie là-bas était tranquille mais je me sentais rongé de l'intérieur par ce que j'avais fait à mon père.
C'est deux ans plus tard, alors que j'avais passé mes dix-sept ans depuis quelques mois, que ma vie prit un autre tournant. Je devais tuer à nouveau. C'est le vieil homme qui me le dit. Je me souviens de ma réaction, j'ai ri. En me rendant compte qu'il était des plus sérieux, mon estomac se noua. Le pire dans tout cela, c'est que je pouvais refuser. Mais je ne le fis pas. Je choisis la facilité. Le vieux monsieur inoffensif que je le croyais être, était en réalité bien plus dangereux qu'il en avait l'air. Il avait mené une enquête sur moi avant de me recueillir chez lui. Et il avait, par je ne sais quel miracle, découvert ce que j'avais fait. C'était soit je tuais les gens à qui il devait de grosses sommes d'argent, soit il me livrait à la police. J'acceptai le job. C'est comme cela que quatre personnes de plus s'ajoutèrent à la liste des gens que j'avais tué.
Quand, avant de partir pour les États-Unis pour rejoindre mon frère à Phoenix, j'allai voir Jimmy pour un faux diplôme de commerce, on m'annonça sa mort. Renversé par une voiture. Cela faisait sept ans que je n'avais pas vu de tête familière et, étonnamment, j'avais espéré trouver un peu de soutien en la personne qu'il était. Mais, malheureusement, ce n'était plus possible. Un des ses amis avait reprit de business. Il me refila le faux diplôme. Et, quelques jours plus tard, j'étais dans l'avion pour Phoenix. On me demandera plus tard: pourquoi ce diplôme ? Une couverture. Parce que oui, j'avais continué de tuer. Oui, j'avais choisi la facilité en acceptant de tuer des gens pour de l'argent. Pas parce que j'étais sadique, insensible et psychopathe, mais pour la simple -et mauvaise- raison, j'avais l'impression que de ma vie, c'était ce que je réussissais de mieux. Je m'étais engagé dans cette carrière qui, pourtant, me détruisait. Peut-être qu'en réalité c'est ce que je voulais, me détruire lentement et à petit feu ?
Bien que je ne m'attache pas aux gens, j'essayai d'aider de mieux que je le pouvais tout en gardant mes distances. C'était le pris à payer pour ce que je faisais : ne jamais avoir d'ami, ni de copine ; ne pouvoir faire confiance à personne et ne jamais se confier. Je ne devais pas me plaindre pourtant.
J'arrivai à Phoenix le cœur lourd et en sachant que nouvelle ville ne voulait pas forcément dire nouveau départ. Et pourtant, des gens se comportèrent gentiment avec moi. J'emménageai avec mon frère dans son appartement dans un quartier qui me rappelait celui dans lequel j'avais vécu durant plus de la moitié de ma vie qui avait l'air plus calme. Et puis, les gens ne posaient pas de questions sur qui nous étions. Il y avait quand même un nouveau tourment qui se créa. C'était qu'après toutes ces années sans l'avoir vu, je devais mentir à Sully, une des personnes les plus gentilles que je connaisse.
Les quatre années qui me séparaient d'aujourd'hui passèrent vite. La vie menait son cours. Je m'étais fait, si je puis dire, des amis. Je les voyais comme tels en tout cas. Et c'est ce qui me faisait peur. J'avais peur de me voir faiblir de la sorte. Je commençai à faire des choses stupides et irréfléchies qui ne me ressemblaient pas. Mais, parfois, cela me faisait du bien de me laisser aller. On pouvait dire qu'il y avait deux Leighton. Le méchant, froid, sans cœur et tueur. Et l'autre, celui qui apporte son aide, qui est protecteur et presque gentil.
Puis, il y a cinq mois, je fis la plus grosse erreur de toute ma vie. J'étais seul à l'appart pare que Sully était sorti et je ne pensais pas qu'il allait revenir avant le lendemain matin. J'entrepris le nettoyage de mes armes. Puis, on toqua fortement à la porte. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais, à ce moment-là, je me mis à paniquer. Croyant à des policiers ou à des cambrioleurs. La porte fut défoncée. Je vis une silhouette passer. Et, oubliant l'arme chargée entre mes mains, je tirai. Mon frère s'écroula sur le sol. Il fut hospitalisé mais il a maintenant une perte importante de mémoire. En plus de blesser des inconnus, je blesse des gens que j'aime? Je me déteste tant !
La question est :
si un jour quelqu'un me rendait tout le mal que j'avais fait ?